1914-1924
Les sentiments francophiles des Roumains et leur coopération intellectuelle avec la France remontent à la moitié du XVIIIe siècle, mais deviennent de plus en plus intenses après la création de l’État roumain moderne (1859-1881) et sont rapidement doublés par des liens institutionnels forts.
En 1914, le déclenchement de la Première Guerre mondiale, ainsi que l’avènement sur le trône de la Roumanie du roi Ferdinand Ier sont les points de départ pour une reconfiguration radicale de la politique étrangère roumaine. D’abord secrètement alliée avec la Triplice, la Roumanie maintient sa neutralité entre 1914 et 1916. Désireuse d’achever son unité nationale, la Roumanie signe, en août 1916, un traité d’alliance avec les pays de l’Entente suivi, peu après, par la signature d’une convention militaire, et entre en guerre.
Après avoir remporté initialement quelques succès militaires, la Roumanie se confronte à de graves difficultés sur le front et fait donc appel à la France pour l’envoi d’une mission d’aide – il s’agit de la fameuse Mission Berthelot, selon le nom de son commandant en chef, le général Henri Mathias Berthelot. Arrivée en octobre 1916, cette mission militaire d’environ deux mille membres, qui comprenait, outre les officiers et les soldats, du personnel médical, reste en Roumanie jusqu’en février 1918 et joue un rôle capital dans le redressement de l’armée roumaine. La Mission Berthelot est d’ailleurs considérée comme étant « la plus importante de toutes celles envoyées par la France à l’étranger pendant la Grande Guerre » (Grandhomme; 2007).
Tandis que le général Berthelot et ses hommes soutiennent la Roumanie en guerre, les intellectuels roumains font leur propre travail en faveur de la cause roumaine, à Paris. Ainsi, à partir de la fin 1917 une Mission Universitaire Roumaine, formée de 13 membres, majoritairement des professeurs de l’Université de Bucarest, arrive dans la capitale française et porte des négociations avec les représentants des ministères français de l’Instruction publique et des Affaires étrangères. Le but est d’obtenir l’aide française pour la modernisation des universités roumaines, en particulier celles de Cluj et de Cernăuți, ainsi que de l’enseignement supérieur technique. Les discussions de Paris donnent suite, en 1919, à la visite d’une délégation universitaire française en Roumanie, dirigée par le physicien Lucien Poincaré, frère du président Raymond Poincaré.
Le 15 juin 1919 est signée à Bucarest la Convention relative au recrutement, au statut et au traitement du personnel universitaire mis par le gouvernement français à la disposition du gouvernement roumain. Ce document détaillait la mise en place de la coopération scolaire et universitaire franco-roumaine d’après-guerre, en accordant une attention particulière aux conditions financières et à la sélection des cadres. Pour son application dès l’année scolaire 1919-1920, la France accordait aussi à la Roumanie, un prêt d’environ 1 450 000 francs, remboursable en 1923.
Peu de temps après, en 1920, voit le jour à Paris, dans le cadre du Ministère des Affaires étrangères le Service des Œuvres Françaises à l’Étranger (SOFE ou Œuvres), destiné lui aussi à assurer « l’expansion intellectuelle de la France à l’étranger ».
La convention et le Service des Œuvres assurent le cadre du fonctionnement de la Mission Universitaire Française en Roumanie, qui se fixe parmi ses objectifs majeurs« la rapide diffusion du français dans les régions nouvellement acquisesà la Roumanie » (Stan, 2020), c’est-à-dire la Transylvanie, la Bessarabie, la Bucovine,le Banat. Jusqu’en 1924 tous les professeurs embauchés en Roumanie ont été mis sous l’autorité de Charles le Téo, inspecteur d’Académie. Certains des membres de cette Mission Universitaire Française sont des anciens membres de la Mission Berthelot, tels que Marcel Fontaine.
Avant les débuts de l’activité de l’Institut Français à Bucarest, en 1924, la plus importante entreprise de coopération intellectuelle franco-roumaine se déroule à l’Université de Cluj, qui devient un véritables lieu de pèlerinage pour les universitaires français qui font le voyage en Roumanie, tels Emmanuel de Martonne, Henri Focillon, l’abbé Breuil, Maurice Caullery et autres.
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