1950-1968
Vers la fin de la période stalinienne du régime communiste (les années 1950), la Roumanie reprend les contacts avec la France. Si la réouverture de l’Institut Français n’est pas acceptée par Bucarest, les échanges culturels se développent à l’initiative de la Roumanie qui, surtout après 1963, les conçoit comme un instrument de sa désatellisation par rapport à Moscou.
À partir de 1957, les premières « conversations culturelles » annoncent un dégel modeste, mais les commémorations des batailles de la Première Guerre mondiale (1957) ou la nomination des premiers lecteurs français dans les universités roumaines (1960) ne s’élèvent pas à la hauteur des attentes d’un public qui n’avait pas oublié la richesse des contacts d’avant 1948.
Ce n’est qu’en 1963 que la Roumanie choisit de favoriser de nouveau l’enseignement du français (contre celui du russe), signe d’une réorientation plus marquée du pays vers les cultures occidentales. En même temps, un poste d’Attaché culturel est créé à l’occasion de la promotion au niveau d’ambassade de la mission diplomatique française en Roumanie (il sera Conseiller culturel à partir de 1966).
Sous la surveillance du régime qui veut éviter toute « contamination idéologique », la diffusion des livres et des revues françaises redevient possible, le public roumain peut aller aux concerts de Charles Aznavour et de Dalida (1963), assister de nouveau aux spectacles de la Comédie Française (1964) ou aux expositions de peinture française (par exemple en 1966), des films français sont diffusés non seulement dans les cinémas, mais aussi à l’Université de Bucarest, etc.
Même si les diplomates français de Bucarest se prononcent contre la signature d’un accord culturel avec « un pays qui ne connait ni la liberté de parole, ni la liberté d’expression » (Gridan, 2017), ce que les membres de l’exil roumain anti-communiste en France ne manquaient pas de rappeler, un accord entre la France et la Roumanie est signé en 1965, marquant la volonté des deux pays de favoriser la coopération culturelle dans tous les domaines. L’accord prévoit des échanges de professeurs et d’étudiants, des bourses d’études et spécialisation, y compris dans les méthodes de l’enseignement du français, des échanges de publications et des traductions, des échanges dans le domaine de la musique, de la danse, des expositions, du théâtre et des musées.
Si la réouverture de l’Institut Français n’est toujours pas acceptée par Bucarest, pour ne pas trop offenser Moscou, le régime entre néanmoins dans une phase de libéralisation relative sur le plan culturel, comme le signalent la traduction et la visite en Roumanie d’Alain Robbe-Grillet, chef de file du nouveau roman français en 1967.
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