Lucie Douriaud

Organisé par l’Institut français de Roumanie, en partenariat avec Centrul Cultural Clujean et avec le support de la Faculté de Géologie UBB Cluj.

Projet soutenu par IF Paris et la Fondation Hippocrène.

Avec sa résidence au Centrul Cultural Clujean à Cluj-Napoca, Lucie Douriaud poursuit son exploration des entrailles de la terre par un séjour au plus près de la matérialité de l’extractivisme. Dans la continuité de S(oil), réplique des champs pétrolifères au Texas, de the Next Oil #1 et #2, nourris par ses recherches sur les terres rares, l’artiste pressentait que la Roumanie, autant pour ses paysages, que pour l’histoire ancienne de leur exploitation, lui offrirait un terrain de recherche fécond. Fidèle à sa méthodologie d’aller-retour entre les échelles, elle a navigué entre le micro et le macro, du laboratoire à la mine.
 Une première partie de ses recherches s’est déroulée à l’Université Babeș-Bolyai grâce à l’accueil de Călin Gabriel Tămaș, géologue, spécialiste des minerais métalliques. Des fragments de pierres polies – argent, covellite, bornite – ont été observés au microscope et photographiés. Là où le regard scientifique porté sur ces spécimens se focalise sur les propriétés chimiques, la pureté de leurs compositions et de leurs structures, l’œil de l’artiste s’arrête lui sur leurs imperfections : tâches d’oxydation, traces de doigt, reliquats de résine de manipulation, gouttelettes. Ces intenses variations de textures, matières et formes ont été immortalisées par des prises de vue microscopiques, et par des photographies à l’IPhone dans le binoculaire. Entre la documentation et la prise de vue artistique, Lucie Douriaud entrevoit dans ces clichés, la potentialité plastique de leur impression, à partir d’encres et de supports métalliques.
 Ces images sont complétées par un autre ensemble, réalisé à partir des collections du musée départemental de minéralogie de Baia Mare. Les pierres présentées sont remarquables pour leur valeur géologique, mais aussi pour leur valeur financière. Outre les photographies, la visite au musée a aussi permis à l’artiste de prolonger son étude de la cristallographie en piochant différents schémas dans le contenu pédagogique, comme autant de compositions en devenir de sculpture.
 Après cet ultra-zoom sur la matière minérale, elle a pu remonter la piste de leur origine grâce à des excursions. Une première dans une mine à ciel ouvert de Roșia Poieni. La montagne est grignotée sans répit pour produire du cuivre, transformé en poudre et envoyé en Chine. L’artiste a pu parcourir ce site métallurgique depuis le paysage en escalier creusé dans la roche, jusqu’au fond de la mine où stagne de l’eau bleue oxydée, en passant par la salle remplie de bassins de transformation dans lesquels le minerais est porté à ébullition pour en séparer le métal. Cet itinéraire au cœur du cycle de vie de la matière et ses métamorphoses apporte non seulement des réponses aux énigmes que son travail soulève en décortiquant des produits transformés, mais constitue aussi une expérience forte en émotions par la densité visuelle des textures, des couleurs, des reliefs. Loin d’une fascination morbide pour l’extractivisme, les observations de l’artiste sont, au contraire, traversées par une conscience aiguë, vécue ici physiquement, de la dévastation des milieux naturels. À quelques kilomètres de la mine, le lac de Geamăna reçoit les eaux usées prétendument dépolluées par une surcharge de Ph pour en réguler l’acidité. Lucie Douriaud a pu constater l’amalgame contre-nature entre ces eaux bleues cristallines et celles du lac, d’un noir intense à force d’être sursaturées d’acides. Malgré les couleurs automnales chatoyantes de la forêt alentour, le site est inquiétant, environnementalement sinistre.
 Pour la suite des excursions, l’artiste s’est rendue dans deux grottes Peștera Urșilor et Peștera cu Cristale de la mine Farcu, ainsi qu’à l’ancienne mine de sel Salina Turda. Ici, la nature est exploitée, non pas pour les besoins de l’industrie, mais pour le tourisme ou les loisirs. Dans la première, de chambre en chambre, suivant les méandres des cavités, elle plonge dans des effets de texture et de reliefs, sculptés par l’eau et l’érosion. Dans la seconde et dans l’ancienne mine de sel, elle est saisie par les tons rouges ou translucides, et les marbrures des blocs, taillés à la main. Des photographies viennent fixer les stratifications et les contrastes perçus lors de ces expéditions souterraines.
 Chaque soir, l’artiste retranscrit aux crayons métalliques sur papier noir, tous ces stimuli visuels, en des petits formats A6. Elle les mélange aux nombreux motifs et détails, géométriques et baroques, de l’architecture Clujoise qu’elle guette et relève dans ses déplacements quotidiens, amorçant ainsi une série de dessins, prémices de tissages à venir.

Andréanne Béguin