La forêt interdite

Exposition de Mélanie Patris (Belgique)

7–20 décembre
La Cave, Institut français
Vernissage : 7 décembre, 18h
Horaires d’ouverture : lundi–vendredi, 10h–17h


On dit que la nuit de Sanziene, les cieux s’ouvrent, laissant un passage entre le monde des mortels et celle des esprits. Les fées des récoltes, les Sanziene, voltigent dans les airs en bénissant les moissons. Êtres sauvages et merveilleuses, elle se défendent d’être vues des mortels, en blessant quiconque, et surtout les hommes qui osent briser l’interdit. La fête du même nom, qui a lieu autour du solstice d’été, le 24 juin plus précisément, tient ses origines dans les cultes agraires pré-chrétiennes, étant célébrée dans beaucoup des pays européens. Dans les pays roumains elle prend une importance particulière, lorsqu’elle perdure jusqu’à nos jours. Dans les villages de notre enfance, on cueillait les fleurs jaunes de sanziene, pour en faire des couronnes à mettre aux portes, afin d’invoquer la protection et l’abondance. C’était un jour de fête, ou l’on ne travaillait pas, et les feux brillaient jusque tard dans la nuit sur les collines tout autour. La prose de Mircea Eliade, dont nous tirons le nom de l’exposition*, nous enseigne que les mythes et symboles existent parmi nous, camouflées dans des faits apparemment banals de la vie quotidienne. Le merveilleux existe, pour celles et ceux qui ont des yeux pour le voir.

Mélanie Patris est une artiste en quête du merveilleux. À travers sa pratique photographique, et les rituels que celle-ci suppose, elle nous fait découvrir un territoire au-delà des frontières physiques, un territoire invisible, mais pas moins réel pour autant. Photographier l’invisible ? Ce fait semble paradoxal, et pourtant elle y parvient par des moyens spécifiquement photographiques, comme la longueur de pose, les superpositions, les techniques anciennes ou « pauvres » (comme le polaroïd) qui invitent le hasard à s’immiscer dans l’image. Les séries proposées pour cette exposition proviennent des deux résidences en milieux ruraux. La première, « Incipit », réalisée en 2017 dans le Condroz, un territoire jalonné des prairies, forêts, collines et villages, explore la possibilité de retrouver la nature sauvage qui habite en nous, la connexion avec la nature et les autres êtres non-humains, la liberté de l’être en dehors des carcans de la société. Le cheval, qui apparait souvent, est un symbole de cette nature sauvage, mais aussi animal psychopompe, qui permet le passage vers d’autres mondes. Et, ajouterons-nous, symbole solaire dans cette mythologie agraire dont il était question.  L’autre série, « Sortir de la forêt », 2022, s’est déroulée pendant une résidence à Ocquier, un village avec un lourd passé, notamment à l’époque de la contreréforme, quand des nombreuses femmes (et quelques hommes) ont été accusées et exécutées pour sorcellerie. En effleurant les traces de ces femmes, Mélanie s’interroge sur leur rapport à l’invisible, aux soins, au rituel et à la nature. Attirée par les légendes autour de la forêt Baciu, Mélanie souhaite depuis longtemps visiter notre ville, pour tenter de lui percer les mystères. Cette exposition fera un bon départ.

* La forêt interdite est le titre de la traduction française du roman de Mircea Eliade, Noaptea de Sânziene, 1955.

Teodora Cosman

www.melaniepatris.com

     

Née en 1977 à Tournai, Mélanie Patris vit et travaille à Bruxelles.

Après avoir terminé l’académie de photographie à Bruxelles, elle a continué à se former dans le domaine des pratiques argentiques, expérimentales et anciennes. 

Elle a affiné son approche en participant à plusieurs workshops, résidences, ateliers sur le long terme et suivis individuels en Belgique et à l’étranger. 

Elle élargit sans cesse son langage photographique en travaillant en collaboration avec d’autres artistes photographes et du monde de la scène. 

Son regard d’anthropologue et sa pratique d’art thérapeute en psychiatrie l’aident à élargir sa préhension du monde et à épaissir ses recherches photographiques et visuelles. Elle voit dans son travail une approche ethnographique qui lui permet d’explorer et de questionner plus largement le sens des images.