Pensées littéraires – Jean-Marie Domenach
Le retour du tragique, Jean-Marie Domenach
(Paris, Gallimard, 1955, 454 pages)
Dans ses essais à la fois littéraires et philosophiques, Domenach place la tragédie au sommet du genre théâtral. Comme Aristote même nous dit, elle purifie l’être dans un processus de catharsis, où la condition humaine est mise à nu. Ainsi, l’homme tragique surmonte-il son destin dans son appétit de violer la limite. C’est une sorte d’héroïsme silencieux qui subsiste dans ces êtres maudits, manifesté avec l’occasion de la catastrophe. Car la faute d’Œdipe ce n’est pas le choix conscient du mal, mais la recherche de la culpabilité. La faute, remarque Domenach, s’échappe de moi et soudainement m’enferme.
Le tragique n’a pas une clarté logique, le destin et la liberté s’entrevoyant – parce que la fatalité consiste dans la toute-puissance de l’inconscient. Ma passion, c’est moi, et c’est plus forte que moi, dit Phèdre dont le désespoir rappelle l’origine du fatalisme. Conscience derrière la conscience. L’inconscient précède l’être humain et le domine.
Toutefois, la perspective tragique se suspend dans l’antinomie – d’un côté, on trouve l’atmosphère lourde et étouffante de la fatalité qui suppose la faute héritée et la punition immédiate (le cas d’Œdipe) ; d’autre coté, le jaillissement de la liberté ou l’héroïsme élevé au sacrifice (le cas d’Antigone). Le péché actif est une vertu ; mais la vertu commande le martyre. Comme Dieu même doute de Dieu dans son interrogation étrange : Dieu, Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?, l’homme tragique doute du salut. La douleur le fait digne des cieux.
Si le tragique autrefois était hybris et catharsis, son retour dans la société contemporaine est caricatural. C’est la décadence des vertus et des passions que Domenach se propose d’analyser. On n’a pas de dieux, mais on n’a pas même de caractère. Le bruit et l’absurde nous aliènent ; les mots nous mangent. C’est plutôt une anti-tragédie dont la sève sorte de l’échec de ce qui ennoblissaient la tragédie classique : passion, transcendance et affirmation. Enfin, aveugle, c’est le cri contemporain contre la divinité. Il n’y a pas de récepteur.