Pensées littéraires – Jean-Paul Sartre
Baudelaire, Jean-Paul Sartre
Paris, Gallimard, 1988 [1947], 184 pages
Au-delà d’une analyse littéraire, Sartre réalise le portrait psychologique du poète à partir des motifs littéraires les plus prégnants dans les œuvres baudelairiennes : le dandysme, la liberté, le péché.
Selon Sartre, il y a une obsession dans l’acte de se voir, plus intense qu’un simple regard. La réflexion de son propre être devient un objet de critique, de condamnation et puis d’invention. Il n’y a rien de naturel dans l’attitude de Baudelaire, nous dit Sartre, mais plutôt une artificialité imposée dans un effort de dédoublement : « L’attitude originale de Baudelaire est celle d’un homme penché. Penché sur soi, comme Narcisse (…) Baudelaire est l’homme qui ne s’oublie jamais. Il se regarde voir ; il regarde pour se voir regarder. »
Sujet objectivé, ce dandy décadent voit dans l’analyse de soi le projet de soi. Il se crée dans une liberté totale afin de correspondre à ce qu’il veut voir. Devant lui, l’iconoclaste du spleen. Son regard est condamnation, et sa liberté noble souffre dans le péché. Ce qui échappe à Sartre c’est le fait que Baudelaire ne tend pas à revivre le péché narcissique de celui qui s’aime, mais l’insurrection de Satan. Car il aspire à une liberté totale, mais une liberté dans le mal. On peut dire qu’il revendique la solitude, et c’est exactement de la solitude que vient sa noblesse.
Autrement dit, être maudit, c’est lui-même qui l’a choisi – il se condamne à justifier sa propre existence, mais c’est lui celui qui l’a créée : « Il veut se créer lui-même, sans doute, mais tel que les autres le voient. Il veut être libre, mais libre dans le cadre d’un univers tout fait. Il s’est arrangé pour conquérir une solitude, accompagnée et consacrée, de même il tente se donner une liberté a responsabilité limitée. Libre et condamnée, créateur et coupable. »