Pensées littéraires – Sarah Jollien Fardel

Sa préférée, Sarah Jollien-Fardel

(Paris, Sabine Wespieser Éditeur, 2022, 200 pages)

Au-delà de la peur, il y a des souvenirs. Il y a des coups de poing, des yeux en larmes, des cris de fureur ou de douleur. Il y a des cadavres.

Récompensé en 2022 par le Prix du Roman FNAC, Sa préféréede Sarah Jollien-Fardel est le témoignage d’un enfant dépourvu d’enfance. Dans le canton du Valais, village montagnard en Suisse, le drame d’une famille martyrisée est passé sous le silence.

À travers Jeanne, la protagoniste, Sarah Jollien-Fardel nous raconte le massacre d’une jeunesse. Le père tourmente Jeanne, son autre fille et son épouse, mais il n’y a pas seulement les blessures qui font mal, mais aussi les peurs et les humiliations qui ne guérissent pas. Les yeux exorbités, fous, de l’homme restent imprimés sur leur rétine. Jeanne lutte contre sa propre enfance, contre son père brutal, contre soi-même : « Je n’avais pas trente ans, j’étais en guerre. Depuis toujours. Pour toujours. »(page 105)

L’humiliation subie l’a dépouillée d’identité. L’enfant qu’elle a été regarde la femme qu’elle est devenue et la critique de ne pas avoir brisé le silence. L’impuissance d’oublier, de pardonner les atrocités de l’enfance est le vrai drame, le bruit des coups revenant obsessivement dans sa conscience. Le futur ne peut exister que dans la perspective du passé. Mais comment quelqu’un pourrait-il vivre s’il porte le passé devant ses yeux ? Quel genre de mort-né est ce maudit être ?

Elle veut vivre malgré tout l’horreur que le père lui fait subir. C’est pour cela que Jeanne s’exile à Lausanne, mais quelque chose la retient encore prisonnière dans cet âge qu’elle n’a pas dépassé, dans la maison de son père. Peut-être la culpabilité. Elle est née en colère ; elle se révolte ; elle craint de lui ressembler. Son père qui est la quintessence de la perversion, la limite du manque d’idéal, l’animal prédateur sans chance au pardon, l’obsède. Quand il présente ses excuses, Jeanne lui crache au visage. Elle le hait parce qu’elle le reconnaît dans sa propre âme.

On a, pendant la lecture, une étrange sensation que Jeanne envie sa sœur parce qu’elle a été la préférée de leur père. L’enfant cherche l’amour… même s’il s’agirait de l’amour perverse, violent d’un monstre.

Miruna Moldoveanu