1932-1940
On a parlé de la période du mandat d’Alphonse Dupront à la tête de l’Institut Français comme d’une « symphonie inachevée » (André Godin). Dupront occupe non seulement une place éminente dans l’histoire de l’Institut mais tient aussi une place de choix dans l’histoire intellectuelle de la Roumanie des années 1930. Historien, élève de l’École Normale Supérieure et de l’École Française de Rome, Dupront va se faire le promoteur d’une « action spirituelle » capable de renouveler la présence culturelle de la France dans une Roumanie où la montée du fascisme est doublée par une influence accrue de la propagande de l’Italie mussolinienne et de l’Allemagne nazie. Dès lors, l’Institut Français devient un instrument pour faire barrage, au sein du monde intellectuel roumain, à l’action des propagandes culturelles inspirées par Rome et Berlin.
Résolument tourné vers l’Université roumaine, l’Institut distribue un grand nombre de bourses annuelles à des jeunes désireux de poursuivre des études dans les universités françaises en finançant, en même temps, des voyages d’études et des séjours de courte durée en France pour des étudiants et des professeurs roumains . Parmi les intellectuels Roumains qui bénéficient de la politique de bourses de l’IF on rencontre Eugène Ionesco, Émile Cioran, Constantin Noica, Mihai Șora, Alexandru Balaci, et bien d’autres encore.
Les échanges de conférenciers entre les deux pays sont au centre des préoccupations d’Alphonse Dupront. Du côté français ce sont, parmi d’autres, Henri Focillon, le spécialiste des langues romanes Mario Roques, le philosophe Léon Brunschvicg, l’écrivain Jules Romain ou le critique dramatique, metteur en scène et directeur de théâtre Jacques Copeau qui font le voyage à Bucarest. Du côté roumain, l’Institut Français appuie les voyages en France de conférenciers roumains parmi lesquels Emil Racoviță, Dimitrie Gusti, le linguiste Sextil Pușcariu, l’architecte George Matei Cantacuzino ou l’écrivain Ion Marin Sadoveanu.
En 1936, l’Institut Français s’installe dans son siège actuel, le beau bâtiment de 77 Boulevard Dacia. Certaines de ses activités se déroulent aussi dans d’autres endroits, traditionnellement liés aux manifestations culturelles bucarestoises comme la salle Dalles. La bibliothèque s’agrandit de manière spectaculaire en dénombrant plus de 32.000 ouvrages en 1943. Le renouvellement de la politique culturelle française en Roumanie passe aussi par l’inauguration, sous les auspices de l’Institut, de « la semaine du livre français » à Bucarest, entre le 1er et le 8 décembre 1938, une action qui jouit d’un grand succès.
A travers une politique culturelle dynamique et diversifiée qui inclut aussi nombre d’activités régulières, très fréquentées, surtout par les étudiants (les conférences, les enseignements de langue, de littérature et de civilisation française, etc.), l’Institut Français de Bucarest devient, vers la fin des années 1930, un des centres les plus importants de la vie intellectuelle de la capitale roumaine.
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