1940-1944

mai 27, 2024

Le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale marque une nouvelle étape dans la vie de l’Institut Français de Hautes Études en Roumanie.

Pendant ce qu’on a appelé “la drôle de guerre” (3 septembre 1939-10 mai 1940), une situation tendue règne au sein de l’équipe de l’Institut et de la Mission Universitaire française, affectant leur activité. Nombre de professeurs de la Mission sont rappelés en France, pour être mobilisés, ou sont chargés par l’ambassade de France à Bucarest de remplir des missions d’information spéciales. 

La défaite de la France en juin 1940, son occupation partielle par l’Allemagne nazie et l’avènement du régime de Vichy, changent considérablement la donne et arrêtent temporairement l’activité de l’Institut Français de Hautes Études en Roumanie. 

Jean Mouton assume la direction en octobre 1940, n’étant officiellement investi qu’au mois de mars 1941, après l’installation de Jacques Truelle comme ministre de la France à Bucarest. Bénéficiant de l’appui des autorités roumaines, Mouton rouvre les portes de l’Institut le 19 novembre 1940 et affirme la volonté de la France de préserver son œuvre spirituelle et de « continuer en un esprit de confiance réciproque les échanges intellectuels franco-roumains » (Stan; 2007). Toutes les activités de l’Institut se déroulent dorénavant exclusivement à l’intérieur de l’immeuble du boulevard Dacia. 

L’Institut propose pendant cette période plusieurs types de cours. Les cours publics, ouverts à tout le monde, sont en fait des conférences données par les professeurs de l’Institut Français. À cela s’ajoutent des cours pratiques  qui s’adressent aux étudiants, désireux d’améliorer leurs connaissances de langue et de civilisation françaises.  Des cours sont aussi réservés aux lycéens, ainsi qu’aux  futurs professeurs  roumains de français de Roumani, ces derniers une innovation  introduite par Mouton.

Mouton transforme aussi le hall de l’Institut en l’une des salles de concert les plus renommées de Bucarest, recherchée par les musiciens roumains  et étrangers à cause de son acoustique extraordinaire. Georges Enesco se produit ici, ainsi que Jeannine Micheau, arrivée de France en novembre 1943, qui chante des fragments de l’opéra Pelléas et Mélisande.

L’Institut Français abrite également quelques expositions d’art intéressantes entre 1940-1944, comme celle qui marque le centenaire de Renoir, en 1942. En 1943, on y présente une collection de dessins des artistes français contemporains : Matisse, Picasso, Dunoyer de Segonzac, Despiau, Vlaminck, etc.

Pendant son mandat, Jean Mouton accorde une attention particulière au sort du Lycée Français de Bucarest, qui devient une école très prisée par la haute société roumaine (il y a ici 130 élèves roumains et étrangers en 1943).

Dans le reste de la Roumanie, les professeurs de la Mission Universitaire Française, ainsi que les cercles d’études françaises qu’ils animent, sont très fréquentés par les élites intellectuelles et le grand public. En fait, la Mission Universitaire française en Roumanie représente entre 1940-1944 la structure ayant contribué le plus à la préservation de la francophilie et de la francophonie des Roumains dans toutes les régions. La plupart des membres de l’Institut Français, y compris Jean Mouton, sont d’ailleurs des gaullistes, à la différence du personnel de la Légation française, qui soutient plutôt le régime du maréchal Pétain. Les divergences de Mouton et de ses collègues avec Paul Morand, ambassadeur de France en Roumanie depuis fin 1943 et collaborationniste convaincu, sont célèbres à l’époque, quoique discrètes. 

Au printemps 1944, les bombardements alliés qui s’abattent sur Bucarest perturbent encore une fois l’activité de l’Institut Français. Tout son personnel, ainsi que des membres de la communauté française en Roumanie, quittent la capitale et se réfugient à Brădet-Paşcani, sur la propriété de la princesse Irina Mavrocordato. Pendant la dernière partie de la guerre, les activités de l’Institut demeurent modestes, malgré les efforts déployés pour assurer leur continuité.

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